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La puissance du Sûtra du Lotus, « trésor entre tous les sûtras »

Auteurs : Arnaud Brotons & Édouard L’Herisson
IrAsia (AMU-CNRS; UMR 7306) – http://www.irasia.cnrs.fr

Le Sûtra du Lotus, un des textes les plus importants du canon bouddhique, a suscité une immense dévotion ainsi que des usages politiques.

Lotus en flamme : le suicide par le feu du clergé bouddhiste

L’usage du suicide par le feu fut important dans les communautés bouddhiques chinoises à partir du ve siècle. L’immolation de soi trouvait dans le chapitre « Conduite originelle de l’être d’éveil Roi des remèdes » du Sûtra du Lotus – un des principaux textes du bouddhisme du Grand véhicule – un récit fondateur. Il raconte comment un bodhisattva, un être d’éveil, qui considérait sans valeur les offrandes créées par sa magie, décida d’offrir son corps au bouddha. Au terme d’un protocole méticuleux, il transforma son être en une offrande sacrée qu’il consacra par le feu. En Chine comme au Japon, ce modèle inspira le suicide de dizaines de moines et moniales. Des récits hagiographiques les décrivent impavides au milieu des flammes poursuivant sans faiblir la récitation du Sûtra du Lotus.

Immolation par le feu du moine Thích Quảng Đức, 1963, © Malcolm Browne.

Le salut des femmes

Le récit de l’éveil de la jeune fille du Roi Dragon illustre un autre aspect de la puissance merveilleuse du Sûtra du Lotus. Cette célèbre histoire irrigue la culture classique du Japon de l’époque de Heian (789-1185). En dépit de son triple empêchement – être issue des Nâgâ, des êtres-serpents rétifs à la Loi boud­dhique, être une femme, et être une enfant d’à peine huit ans –, la jeune princesse parvint en effet à réaliser le parfait éveil par la puissance du Sûtra du Lotus. Ce texte était donc bien capable de sauver tous les êtres.

Vingt-troisième chapitre du Sûtra du Lotus, trésor national du Japon. Sanctuaire d’Itsukushima (dep. Hiroshima), Japon.

Le lotus en guerre : l’essor du Sûtra du Lotus dans le Japon d’avant-guerre

La période moderne japonaise est marquée par une dynamique de modernisation du bouddhisme. L’école Nichiren basée sur le Sûtra du Lotus y occupe une place centrale. Ce courant est fondé au xiiie siècle par Nichiren qui élabore une doctrine du salut de la nation. Ce motif se retrouve dans le nichirénisme moderne qui lie les idéaux de l’empire au discours de Nichiren. Sa figure de proue est Tanaka Chigaku. Il fonde en 1879 la Rengekai (Société du lotus) qui devient en 1912 la Kokuchūkai (Société du pilier de la nation). Ce leader charismatique parvient à propulser le nichirénisme à l’échelle nationale et à s’entourer de figures influentes telles que le poète Miyazawa Kenji ou le militaire Ishiwara Kanji. Il est aussi à l’origine du crédo hakkō ichiu (les huit extrémités du monde sous un même toit) qui deviendra le slogan de l’armée. Tanaka avance que le Sûtra du Lotus doit être le fondement de la nation dont l’empereur serait le garant. Sa doctrine se combine ainsi avec le système impérial et les discours autochtonistes. Mais le nichirénisme est aussi moteur d’action. En effet, Ishiwara Kanji, fomenteur de l’Incident de Mandchourie, comme Kita Ikki, militant anarchiste, se réclament de Nichiren et du Lotus. Les enseignements du sûtra sont donc ressaisis au cœur de la militarisation, aussi bien en soutien qu’en opposition à celle-ci. Qu’il motive les visions ultranationalistes ou les idéaux anarchistes, le Lotus entre bien en guerre au début du siècle dernier.

Bibliographie

  • Faure Bernard, The power of denial : Buddhism, purity, and gender, Princeton, N.J., Princeton University Press, coll.« Buddhisms », 2003.
  • Frank Bernard, Amour, colère, couleur: essais sur le bouddhisme au Japon, Paris, Collège de France, Institut des hautes études japonaises : Diffusion De Boccard, 2000.
  • Gernet, Jacques, « Les suicides par le feu chez les Bouddhistes chinois du Ve au Xe siècle », in L’intelligence de la Chine: le social et le mental, Paris, Gallimard, coll.« Bibliothèque des histoires », 1994, p. 169‑206.
  • Le Sûtra du Lotus: suivi du Livre des sens innombrables et du Livre de la contemplation de Sage-Universel, traduit par Jean-Noël Robert, Paris, France, Fayard, 1997.
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