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La saga migratoire des Nippo-Brésiliens: plus de 100 ans de migrations entre Japon et Brésil

Auteure : Pauline Cherrier
IrAsia (AMU-CNRS; UMR 7306) – http://www.irasia.cnrs.fr

Plus d’1,6 million de Nippo-Brésiliens, Brésiliens d’origine japonaise, se répartissent aujourd’hui entre le Brésil et le Japon. Venez découvrir leur histoire.

Du Japon vers le Brésil : 1908-1942

À la fin du xixe siècle dans un Japon alors en pleine industrialisation et modernisation, de nombreux paysans en quête d’horizons meilleurs décident de tenter leur chance ailleurs. Les premiers émigrés se dirigent plutôt vers Hawaii et l’Amérique du Nord (côte ouest américaine et canadienne), mais des restrictions de l’immigration asiatique (en 1908 et 1924) entraînent une redirection de l’émigration japonaise vers l’Amérique du Sud et surtout le Brésil. Quelque 240 000 Japonais partent travailler en famille dans les plantations de café, « l’or noir » de l’époque, principalement dans l’État de São Paulo.

Si leurs débuts sont difficiles, les émigrés japonais et leurs descendants connaîtront une ascension sociale en tant qu’agriculteurs mais aussi en tant que médecins, universitaires, ingénieurs, etc., contribuant grandement au développement de la ville de São Paulo dans l’après-guerre.

Rue du quartier japonais de Liberdade de São Paulo (Brésil). Les décorations japonaises (lampes rouges) ont été érigées en 1970 comme décision municipale pour rendre hommage aux Japonais de la ville. Crédit photo : Pauline Cherrier

Du Brésil vers le Japon : 1990-2008

En 1990, le Japon, soucieux de répondre à la pénurie de main-d’œuvre des usines japonaises mais aussi de maintenir une « homogénéité ethnique et culturelle », permet aux nikkeijin, à savoir les étrangers d’origine japonaise de deuxième (nissei) et troisième génération (sansei), de venir travailler au Japon. En raison de la crise économique des années 1990 traversée par le Brésil, les Nippo-Brésiliens émigrent massivement au Japon pour devenir à la fin du xxe siècle la troisième communauté étrangère du Japon, après les Coréens et les Chinois (ils étaient 316 000 en 2007). Néanmoins, ils y occupent souvent des emplois non qualifiés dans des petites villes industrialisées loin des centres urbains ultramodernes à l’image de Tōkyō et ont pâti pendant longtemps d’une image plutôt négative en tant que travailleurs non qualifiés mais aussi en tant qu’étrangers.

Station de train de la ville de Nishi-Koizumi au Japon. Il s’agit d’une toute petite ville (40 000 habitants) avec une très forte proportion d’habitants brésiliens (presque 5 000). La station a été décorée il y a peu en jaune et vert pour « honorer » cette présence brésilienne.

2008-2019

En 2008, à la suite de la faillite de la banque des frères Lehman, le monde entier subit une grave crise financière. L’économie japonaise est durement frappée et les exportations d’automobiles japonaises baissent drastiquement. Or ce secteur d’activité emploie de très nombreux Brésiliens qui se retrouvent subitement sans emploi et parfois sans logement : 50 000 Brésiliens repartiront au Brésil de leur plein gré, mais également « aidés » financièrement par l’État japonais. Aujourd’hui les Nippo-Brésiliens vivant au Japon sont moins nombreux mais plus enclins à s’y établir définitivement. La génération de Nippo-Brésiliens née au Japon dans les années 2000 ne parle souvent plus ou peu le portugais, marchant dans les pas de leurs parents ou grands-parents nés, éduqués au Brésil et ne parlant pas le japonais…

Le saviez-vous ?

Connaissez-vous les sushis à la fraise ?

Les émigrés japonais ont introduit au Brésil de nouveaux aliments comme le concombre, l’aubergine ou le kaki jusqu’alors inconnus. À l’inverse, ils ont adapté leur cuisine aux aliments brésiliens. Nous pouvons ainsi manger au Brésil des sushis aux fruits comme les sushis à la fraise, à la mangue, au chocolat, etc.

Les Japonais ont remporté la seconde guerre mondiale !

Le 15 août 1945 l’empereur Hirohito s’adressa à ses sujets pour expliquer que le Japon se rendait et qu’il avait ainsi perdu la guerre. Mais pour les émigrés japonais au Brésil, cette nouvelle apparaissait difficile à croire ! Les Japonais étaient depuis la fin des années 1930 soumis à de nombreuses restrictions qui limitaient leur accès aux informations en langue japonaise, de sorte qu’ils n’avaient pas pu suivre l’évolution de la situation internationale. Le gouvernement brésilien de Getúlio Vargas qui cherchait en effet à l’époque à « brésilianniser » sa population mit en place des politiques assimilationnistes envers les immigrés. Un groupuscule de Japonais dits « victoiristes » (kachigumi) réunis au sein d’une association nommée la « shindô renmei » soucieux de rester fidèles à l’empereur et heurtés par les mesures discriminatoires dont ils étaient victimes au Brésil organisa une contre propagande pour faire croire en la victoire du Japon. Ils truquèrent les journaux de l’époque et organisèrent des attentats à l’encontre des Japonais dits « clairvoyants » (makegumi), c’est-à-dire ayant accepté la défaite japonaise. Cet épisode qui divisa la communauté japonaise au Brésil est révélateur des tensions nationalistes japonaises et brésiliennes dont furent victimes les émigrés japonais du Brésil.

Bibliographie

  • CHERRIER, Pauline. “Le traitement médiatique des travailleurs brésiliens du Japon durant la crise économique de 2009.” Ebisu 46, 2011, 39-71.
  • Comissão de elaboração da história dos 80 anos da imigração japonesa no brasil (CEHIB), 1992, Uma epopéia moderna, 80 anos da imigração Japonesa no Brasil (une épopée moderne, 80 ans d’immigration japonaise au Brésil), são Paulo, éd. hucitec, sociedade brasileira de Cultura Japonesa.
  • FUKASAWA Masayuki, 2002, Um mundo paralelo. A vida da comunidade brasileira de Oizumi
    (Un monde parallèle. La vie de la communauté brésilienne d’Ōizumi), Japão, Rio de Janeiro, topbooks.
  • HANDA Tomoo, 1980, Mémorias de um Imigrante Japonês no Brasil (Les mémoires d’un immigré japonais au Brésil), Trans. Antonio Nojiri. São Paulo : T.A. Queiroz / Centro de Estudos Nipo-Brasileiros.
  • ISHI Angelo, 2003, “Searching for Home, Wealth, Pride and ‘Class’: Japanese-Brazilians in the ‘Land of Yen’” In Jeffrey Lesser (ed.), Searching for Home Abroad : Japanese-Brazilians and Transnationalism. Durham : Duke University Press, pp.75-102.
  • PERROUD Mélanie, 2007, « Migration retour ou migration détour, diversité des parcours migratoires des Brésiliens d’ascendance japonaise », Revue européenne des migrations internationales, 23 (1) : 49-70.

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