Auteurs : Olivier Bailblé & Édouard L’Herisson
IrAsia (AMU-CNRS; UMR 7306) – http://www.irasia.cnrs.fr
Le bouddhisme est arrivé en Corée puis au Japon par les textes écrits en chinois que des lettrés ont ramené de leurs voyages. Ils vont devoir créer des systèmes d’écriture pour les déchiffrer…
Le Kugyŏl : transcrire le bouddhisme en langue coréenne
Le Kugyŏl est un système d’écriture inventé autour du viiie siècle sous le Silla Unifié. Il s’agit d’une indication permettant au lecteur coréen de déterminer la valeur grammaticale des sinogrammes. Le nom du bonze Ŭisang revient régulièrement comme étant à l’origine de sa création. L’étymologie du mot Kugyŏl provient de caractères chinois que l’on peut traduire par « transferts secrets entre professeurs et disciples ». Le chinois et le coréen appartiennent à deux familles de langues distinctes : les langues sino-tibétaines et ouralo-altaïques. Le coréen n’a donc aucun lien linguistique avec le chinois. Ainsi, des moines coréens qui ont séjourné en Chine et maîtrisent le chinois classique vont à leur retour promouvoir ce système. Le Kugyŏl va permettre à leurs disciples de déchiffrer les sûtras et de lire les textes bouddhistes, religion en pleine expansion qui atteint son apogée sous le Koryŏ (918-1392). On distingue deux sortes de Kugyŏl. Le « Kugyŏl à caractères », autrement dit des caractères chinois simplifiés sont insérés dans le texte. Les universitaires sud-coréens et japonais se disputent d’ailleurs la paternité de ce système car sa création date de la même période que celle des syllabaires japonais. En 2000, le japonais Kobayashi Yoshinori découvre en Corée le « Kugyŏl à points ». Il s’agit de marques à peine visibles insérées près d’un caractère chinois à l’aide d’un stylet. Coïncidence, lors de son retour au Japon, il découvre aussi des points autour des caractères chinois des textes japonais de la même période : les okototen.
Le système okototen : entre transcription et appropriation du bouddhisme au Japon
Le système okototen permet de lire les caractères chinois par le biais de signes ou de points disposés autour, voire dans, les sinogrammes. Il est sans doute élaboré par des moines de la ville de Nara aux alentours de 800, mais il acquiert sa forme définitive dans le courant de la période de Kamakura (1185-1333). Il existe plus de cent signes répartis en huit groupes selon la classification du linguiste Nakada Norio. S’ils sont à l’origine tracés avec la poudre blanche utilisée pour se maquiller le visage, l’encre vermillon la remplace progressivement pour en améliorer la lisibilité. Au départ, ce système sert simplement à transcrire la lecture des textes en chinois, notamment les écrits bouddhiques. Les érudits confucéens le mettent également à profit dès l’époque de Heian (784-1185). Mais durant la période médiévale, le bouddhisme ésotérique prend un essor considérable ; le système okototen devient alors le moyen de transmettre, au sein des diverses écoles, des exégèses spécifiques indéchiffrables en dehors du cercle d’initiés et le véhicule d’un enseignement ésotérique fondé sur des interprétations des sûtras purement japonaises. Plus qu’un système de transcription, les okototen sont donc un opérateur d’appropriation qui participe à l’émergence du bouddhisme japonais.
Bibliographie
- Chŏng, Chaeyŏng. 2010. “The Language and Writing of Ancient Korea”. Korea Journal, Summer 2010.
- Nam P’unghyŏn. 2012. The languages of Japan and Korea. (pp. 41-72). UK: Routledge.
- Ramsey, Robert and Lee, Ki-Moon. 2011. History of the Korean Language. Cambridge: Cambridge University Press.